mardi 25 novembre 2014

Une mobilité bruxelloise en quête de sens

Soyons de bons comptes, l'aménagement d'un grand espace piétonnier dans le centre de Bruxelles constitue un projet ambitieux et nécessaire pour le bien-être des gens (habitants de la zone, citoyens bruxellois et belges, touristes) ainsi que pour l'environnement. La récente étude sur la pollution à Paris vient notamment confirmer (toute proportions gardées) qu'un changement dans la mobilité urbaine est indispensable. 

Ce qui laisse perplexe, ce n'est pas tant ce qui va changer à l'intérieur de la Petite Ceinture (même si certaines réserves peuvent déjà être émises concernant le risque de créer un mini-ring), mais bien l'impact que ce nouveau projet a(ura) sur le reste de la Région. Le Pentagone n'est pas un îlot perdu au milieu des champs, mais une partie d'une ville composée de plusieurs communes. Communes qui, pour certaines, souffrent de problèmes de trafic parfois plus importants que dans le centre-ville (on pense, au hasard, aux extrémités de Woluwé-Saint-Pierre, Auderghem et Evere en bord de Ring ou le goulet Madou). 

Ce qui rend dubitatif, c'est le manque de vision holistique de la part des autorités bruxelloises, tous niveaux confondus. Une grande partie des voitures qui roulent aujourd'hui dans le centre n'y auront plus accès. A moins que les conducteurs décident de ne plus prendre leur voiture (on en doute), ces mêmes voitures rouleront en dehors du Pentagone, ajoutant des embouteillages, des énervements et des réactions en chaîne à des zones déjà encombrées. 

L'idée partant du principe que l'interdiction faite aux voitures d'accéder à un territoire délimité entrènera un changement de mentatlités dans leur mode de transport, ne tient pas forcément la route. Les conducteurs n'abandonneront pas, comme par magie, l'utilisation de leur quatre roues en ville, surtout s'il n'y a pas d'alternative efficace. 

Cette même idée pourrait par contre faire partie d'un plan global, incluant toutes les communes bruxelloises et de la périphérie, afin d'avoir une vue d'ensemble cohérente qui prennent tous les aspects (et tous les quartiers) en compte. A ce titre, les leviers sur lesquels il serait possible de jouer sont multiples: 

  • Investissement massif dans les transports en commun, tant en terme d'augmentation de lignes que de nombre de véhicules; 
  • Péage à l'entrée de Bruxelles afin de filtrer les allées et venues (manne financière qui permettrait également de supporter l'investissement en transports en commun);
  • Rôle accru de Bruxelles-Mobilité afin d'avoir une vision et un pouvoir de décision supérieur aux communes;
  • Développement de pistes cyclables cohérentes et sans risque (exemple parmi d'autres : trop souvent des pans de rues empruntés par les automobilistes sont également mis à disposition des cyclistes ce qui, même s'il y a un marquage au sol, expose ces derniers à des dangers);
  • Abandon (progressif) de la déduction fiscale des voitures de société au profit d'une fiscalité environnementale. 
Ces quelques éléments (il y en a d'autres évidemment) devraient être pris en considération dans leur globalité et non séparément, chacun d'entre eux venant en alternative à d'autres. 

Bruxelles (19 communes et périphérie) est confrontée à plusieurs défis de taille dont, notamment, la gestion de l'explosion démographique et les enjeux environnementaux (pollution, biodiversité, etc.). Son statut hybride (ville-région composée de communes dont le pouvoir est important) doit évoluer vers plus de concertation et de coordination entre les différents acteurs afin d'avoir une vision et une mise en oeuvre de politiques plus incluantes, qui permette de faciliter la vie des gens tout en préservant leur santé et l'environnement. D'autres villes (plus grandes, plus petites, plus vieilles, plus jeunes, plus riches, moins fortunées) l'ont réalisé. Il est temps maintenant que le grand Bruxelles s'y attèle. 

RF

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Ce billet a été rédigé en écoutant l'album "Patine" de Brns

vendredi 21 novembre 2014

De la reconnaissance, de la périphérie et du covoiturage : les trois faits marquants de la semaine (21/11)

Bonjour à toutes et tous, 

Au milieu de la masse d'informations qu'inonde l'être humain, il est parfois difficile de retenir certaines d'entre elles et de faire le tri. Voici donc les trois faits qui ont marqué mon attention cette semaine. Bonne lecture. 

- L'Espagne en passe de reconnaître la Palestine : et de trois en trois semaines. Après la Suède (qui l'a fait officiellement fin octobre) et le Royaume-Uni (via une motion de la Chambre des Communes), c'est au tour du Congrès espagnol d'appeler, à une très nette majorité, le gouvernement à reconnaître l'Etat palestinien. 

Côté pile: Des débats agitent également le monde politique français et, de son côté, la nouvelle Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, a plaidé récemment pour la même reconnaissance. C'est évident, le sujet est de plus en plus abordé en hauts lieux et présenté comme une solution aux conflits qui sévissent dans la région. L'institution d'un Etat palestinien ne peut avoir lieu que si une large majorité des grandes puissances (occidentales) le veulent et poussent pour y arriver. Un Etat permettra aux Palestiniens de bénéficier de droits, mais également de devoirs (on pense là par exemple à une délégitimisation du Hamas). Cela conduira également à un équilibre juste dans la résolution de conflit, le nouvel Etat palestinien se voyant porté au même rang qu'Israël dans le droit international. 

Côté face: Le sujet est compliqué (ou du moins est rendu difficile à cerner par certains) et des décisions rapides et non mûries (ou du moins non expliquées) pourraient déboucher sur une radicalisation (encore plus) importante de l'Etat d'Israël envers les Palestiniens, mais également envers ses principaux alliés, Etats-Unis en premier. Cela pourrait conduire à des pressions sur les différentes administrations et à durcir le ton (et le portefeuille) de certains bailleurs de fonds des candidats à l'élection américaine. Cela pourrait également, en fonction des événements à venir et des décisions et déclarations prises (on pense ici à l'actualité récente à Jérusalem), à une montée (encore plus importante) de l'antisémitisme.

- La "dénéerlandisation" de la périphérie : selon une étude réalisée par le Brabant flamand, les communes autour de Bruxelles accueillent de plus en plus d'habitants (12.000 entre 2006 et 2009) dont le néerlandais n'est pas la langue principale (et souvent, pas la langue du tout). Fait non négligeable : ces nouveaux brabançons flamands ne sont pas, dans leur majorité, francophones (comme cela a pu être synonyme de stéréotype pendant des lustres), mais d'origine "étrangère".

Côté pile: En conséquence de l'explosion démographique de la Région bruxelloise (qui ne fait que commencer), une solution pour apparemment plusieurs milliers de personnes est de quitter les frontières régionales de la capitale pour s'installer de l'autre côté du Ring, à une distance convenable (embouteillages exceptés) de leur lieu de travail et de l'école de leurs enfants (en territoire bruxellois) tout en profitant d'un ratio prix/mètre carré plus attractif et en disposant de plus de place. Cela montre, s'il le fallait encore, la grande quantité de liens socio-économiques entre le "centre" et la périphérie. Et d'ajouter de l'eau au moulin à un élargissement de Bruxelles qui, si géré de manière rationelle et pragmatique, permettrait d'harmoniser certaines politiques en matières de mobilité, d'immobilier, de fiscalité, etc.

Cela (pour rassurer les plus sceptiques), tout en préservant la langue néerlandaise. A ce titre, l'étude montre qu'une majorité des nouveaux habitants de la périphérie est déterminée à apprendre la langue de Vondel. 

Côté face: Une des raisons pour lesquelles cette étude sort maintenant est manifestement le fait que l'accueil des arrivants, leur parcours d'intégration et les cours de langues qui leur sont dispensés sont des compétences qui, à partir du 1er janvier 2015, passent de la province (ici en l'occurence le Brabant flamand) à la Région flamande. Et qui à la main en Flandre? La N-VA qui non seulement affiche une certaine antipathie envers les francophones, mais qui, surtout, défend bec et ongles tout se qui permet de donner de l'ampleur à une identité flamande. 

Un changement de statut de certaines communes flamandes, un rapprochement avec Bruxelles, pourraient se heurter à un dogmatisme flamingant et voir se renforcer les différences entre périphérie et capitale pour (ré)affirmer le caractère flamand de ces communes. On perdrait alors du temps et surtout une occasion (unique?) de redynamiser Bruxelles et les communes. 


- La montée en puissance du co-voiturage. La société Uber a réalisé (au moins) deux bons coups de communication dernièrement (même s'il y a eu aussi des râtés) : l'alternative aux taxis en temps de grève et le partenariat avec Brussels Airlines. Si le système de covoiturage est défini comme illégal par le gouvernement bruxellois, il continue néanmoins à être opérationnel, à exercer une pression sur les autorités et à surfer sur cette illégalité


Côté pile: Cela offre de nouvelles possibilités pour les personnes désireuses de se déplacer en voiture sans conduire. Que ce système soit une menace directe envers les chauffeurs de taxis est évident. Mais au lieu d'interdire un concept qui non seulement existe dans plus de 200 villes, mais également dans lequel Google a investi (et qui donc ne devrait pas finir demain), les autorités (associées aux compagnies de taxis) devraient revoir les services de voiturage, les réformer, les dynamiser, les moderniser. Et associer les sociétés comme Uber afin de proposer une offre globale et éviter de monter les camps les uns contre les autres. D'autant plus que le professionalisme et les compétences de certains chauffeurs de taxis, voire de certaines compagnies en général, laisse plus qu'à désirer pour une ville qui se veut internationale (et capitale de l'Europe). 

Côté face: Cela crée (et va créer encore davantage) de mécontentements et de colère dans le chef des chauffeurs et sociétés de taxis avec, potentiellement, des débordements comme en France cette année. La manière dont Uber tente de s'imposer n'est pas pour calmer ces mécontentements car elle paraît comme un passage en force, ne tenant pas compte, voire ne respectant pas du tout, les impacts sur les professionnels du secteur.  

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Bon week-end! 

RF

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Ce biller a été rédigé en écoutant l'album "Turning" d'Antony & The Johnsons

mardi 18 novembre 2014

Une Belgique neutre et discriminatoire

Et voilà que revient la sempiternelle antienne relative aux signes religieux dans l'espace public. Comme le refrain d'une chanson conservatrice et de repli qui refait son apparition tous les 4-5 ans. 

Partons du principe que la décision du gouvernement fédéral (interdire le port de signes religieux, politiques et philosophiques pour les fonctionnaires fédéraux en contact avec le public) ne vise aucune communauté en particulier. Quelle est le but visé? Le gouvernement se réfère à une loi de 1937, laquelle édicte que "(...) l'agent de l'Etat évite toute parole, toute attitude, toute présentation qui pourrait être de nature à ébranler la confiance du public en sa totale neutralité, en sa compétence ou en sa dignité." Il s'agirait donc de veiller à la neutralité du fonctionnaire public.  

A nos yeux, neutre ne veut pas dire aseptisé, sans particularité, sans personnalité. Le fonctionnaire, fédéral, régional, communal, européen, est neutre dans la manière dont il traite les dossiers, dont il s'adresse aux citoyens, dont il fait preuve de sens professionel. Porter une kippa, un t-shirt avec Che Guevara ou un pin's arborant la flamme laïque ne présuppose pas que le citoyen se verra traité différemment, que le service qui lui sera apporté sera biaisé. Le penser, et en faire découler une décision politique, relève du procès d'intention. 

Qu'est-ce qui dérange tellement dans le signe religieux? Qu'est ce qui me fait craindre une différence de traitement selon que le fonctionnaire en face de moi arbore une croix plutôt qu'un t-shirt de Marylin Manson (au hasard) et des tatouages celtiques sur ses avant-bras (toujours au pif)? 

Si on examine de plus près cette décision, et qu'on va au-delà de la liberté (bafouée) de porter le vêtement que l'on souhaite, on voit deux autres limites à cette décision qui portent atteinte, eux, aux droits de l'Homme: 

- une discrimination religieuse, surtout envers les musulmans et les juifs. Soyons de bon compte, le fonctionnaire chrétien qui se voit interdire le port ostentatoire de son appartenance religieuse pourra mettre sa croix en dessous de son polo ou de son chemisier. Qu'en sera-t-il des hijabs, tchadors et kippas? Sachant que le port de ces derniers fait partie intégrante de la foi des personnes qui les coiffent, ces dernières devront soit changer de département (si possibilité il y a), soit tout simplement changer d'employeur. 

- une discrimination de genre : on le répète, les personnes les plus exposées à cette décision sont, à nos yeux, les fonctionnaires de confession juives et musulmanes. Parmi ces derniers, les hommes ne sont pas tant touchés vu qu'il s'agit surtout de viser les signes ostentatoires, à savoir, en l'occurence, le foulard islamique, porté par les femmes.

Nous ne connaissons pas les chiffres des personnes portant des signes religieux ostentatoires dans les administrations publiques. Mais, même si l'on parle ici d'une minorité de personnes affectées par cette décision, il s'agit d'une stigmatisation claire et nette envers des personnes en fonction de leur appartenance religieuse, philosophique, etc. 

Il serait plus intelligent (et plus porteur) de concentrer les efforts sur la promotion de la tolérance, de la diversité, du multiple, du vivre ensemble. Afin, peut-être un jour, de ne pas changer de file parce que la fonctionnaire est voilée, mais y rester car cela sera normal, cela fera partie, pour tout un chacun, de la composition de société telle qu'elle est (déjà aujourd'hui). 

RF

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Ce billet a été rédigé en écoutant Radio Meuh

vendredi 7 novembre 2014

L'arrogance, la frustration et la porte dans le nez

Entre 100.000 et 120.000 manifestants à Bruxelles ce jeudi. Des réseaux de transports en commun fortement perturbés, si pas à l'arrêt complet. Des échauffourées malheureuses.


Tout ceci pour déboucher, enfin, sur une discussion entre le nouveau gouvernement et les partenaires sociaux. "Enfin", car bon nombre d'événements et de faits récents auraient pu être évités.

D'un côté, une nouvelle équipe gouvernementale qui, pour certaines des personnalités les plus exposées (présidents de parti inclus) donne l'impression de n'avoir cure de l'avis et des réactions que suscitent les mesures reprises dans la déclaration gouvernementale. De la pure arrogance à l'égard de toute (une partie de) la population belge.

De l'autre, des corporations de travailleurs et d'employés qui craignent pour leur avenir, pour leur famille, leurs (petits) enfants, leur santé.  Des syndicats qui traduisent certaines mesures de la déclaration gouvernementale en épouvantails du déclin social. Une vision parfois court-termiste de la société qui, couplée à un manque d'informations, d'explications, suscite colère et frustrations.

On aurait pu éviter cela. Du moins certains affrontements, certaines repeintures de devantures, certains véhicules brûlés, certaines visites à l'hôpital, on en passe. L'image, déjà ternie, du gouvernement aurait également pu être épargnée.

La reunion qui s'est tenue ce jeudi 6 novembre en fin d'après midi et qui a permis de voir se rencontrer le Premier ministre et les représenants des principaux syndicats constitue un pas en avant, mais aurait du se dérouler il y a déjà quelques mois. Car à trop vouloir passer en force, à trop faire la sourde oreille aux réactions contraires, le gouvernement se retrouve aujourd'hui face à deux problèmes: 

1 - Vu que discussion et négociations il y aura, de toutes façons, le gouvernement aurait pu et du y faire appel en amont des négociations (ou en tout cas de la déclaration gouvernementale) afin de faire preuve de respect et de confiance. Deux aspects que le gouvernement doit s'efforcer de renverser afin de montrer qu'il représente les préoccupations et les intérêts de tous les Belges. 

2 - La tâche du gouvernement à présent est également d'expliquer la déclaration gouvernementale, de communiquer sur l'état du pays et ses enjeux, de démystifier certaines mesures, de faire preuve de pédagogie envers les citoyens. Cette tâche se révèle d'autant plus compliquée maintenant que certaines mesures ont été décriées en long et en large à peu près partout (parlement, médias, rue). 

Moins d'arrogance, plus d'écoute et de discussion donc. A moins que, cynisme politique oblige, tout ceci était prévu par le gouvernement. En psychologie sociale, on appelle ça la technique de "la porte dans le nez" : demander plus pour pouvoir disposer, après négociations, de ce qu'on veut vraiment.

Ceci et la façon dont la concertation avec les syndicats va se dérouler seront les deux choses à tenir à l'œil dans les prochaines semaines.

RF

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Ce billet a été rédigé en écoutant l'album "Xen" d'Arca.